Ce qu'est l'art, ce qu'est la vie...
Par Francis Parent (*)
Patrick Guicheteau est venu très tôt à la peinture, ce qui lui a permis, en autodidacte, de matérialiser de façon de plus en plus réaliste, d’abord des rêves insolites (cf. ses « Personnages volants »), puis des réalités plus citadines (cf. ses « Nocturnes interlopes »). Mais, sans perdre des qualités «d’hyperréalisme » pour la « Forme », ses « Fonds », avec leurs jeux d’irisation de couleurs, exprimèrent rapidement non seulement la volonté de l’artiste de peindre un sujet donné mais aussi celle de montrer le plaisir de peindre lui-même… La précision laborieuse des rendus sera donc de plus en plus contrebalancée par l’émancipation de l’acte pictural lui-même, amenant ainsi à la liberté de formes, de couleurs et de matières des œuvres d’aujourd’hui.
Certes la « Figure » donnée à voir dorénavant est essentiellement celle d’une Vénus alanguie, sorte de « Déesse païenne » au milieu de drapés chargés de motifs colorés. Certes l’artiste affirme que celle-ci est indispensable à sa création. Mais il faut bien voir que cela vaut moins pour le côté sensuel de la chose que pour sa capacité métaphorique à être cette « Figure » qui, source de toute vie, peut, par déduction, être la forme princeps apte à tous les « enfantements » esthétiques. Ainsi pourront être représentés dans les figures centrales, bien sûr des femmes, mais tout aussi bien des fleurs, des pommes, voire même des coqs. D’ailleurs, lorsque Guicheteau réalise le portrait de telle femme, son visage n’est « réaliste » que sur une partie de sa surface, le restant étant rayé de bandes colorées rigides puisque, évidemment, tout cela n’est que de la peinture…
Si l’artiste ne veut pas donner une identité propre à sa représentation centrale, c’est qu’il l’ « entend » donc (elle résonne / raisonne ainsi en lui) essentiellement comme une « chimère » forgée par cet acte pictural. Une peinture qui, physiquement, vient du fond de la toile vers la surface de la représentation avec toutes les étapes techniques intermédiaires possibles. D’abord l’artiste enduit la toile au couteau avec des épaisseurs incorporant même du sable, du gel ou de la feuille d’or (ceci forme un lien évident avec ses sculptures actuelles traitant de la même thématique, peintes au recto et dorées au verso), tout cela donnant un relief, une dynamique supplémentaire aux formes et couleurs qui vont venir se superposer ensuite. Le traitement purement pictural est d’abord effectué à l’acrylique, de façon à ébaucher les formes, puis enfin parachevé à l’huile. Alors tout est repris en gestes plus amples avec des circonvolutions qui peuvent venir heurter, en de multiples interactions, d’autres lignes plus dures, ou encore avec des entrelacs de formes qui s’articulent avec d’autres, de couleurs, l’Abstraction devenant, dans les dernières œuvres, de plus en plus présente. Mais ceci toujours de façon à déranger l’œil du « regardeur » (comme disait Duchamp) afin de le surprendre, comme en musique, lorsqu’une mélodie est soudainement déchirée par le son d’instruments poussés au maximum ou, au contraire, par de soudains silences.
Car l’œuvre de Patrick Guicheteau est un exemple parfait d’une possible synesthésie entre peinture et musique. Il suffit de remarquer dans les frémissements picturaux de chacune de ses toiles, leurs rapports évidents avec la musique : rythmes des formes, partitions de couleurs, répétitions de motifs, interférences, « tons » forts ou faibles, etc. Jeu quasi musical donc entre le fond, avec ses « compositions » de matières, de couleurs et de lignes, et la forme, avec ses « compositions » tout aussi complexes qui « naissent » et se fondent comme naturellement, « justement » (l’accord juste..), dans les méandres de ce fond. Un « accord » tel que l’avait exprimé le conteur et musicien Hoffmann : « Lorsque j’entends de la musique, je trouve une analogie et une réunion intime entre les couleurs, les sons et les parfums ». D’ailleurs, beaucoup des titres d’œuvres actuelles de Guicheteau nous convient à ce rapprochement: « Quelques notes sur un air oublié » ; « Sous les ondes mauves et bleues » ; « Quelques rimes incertaines pour des chants inconnus », etc.
De plus, on peut dire de la figure de la femme, omniprésente dans cette dernière période de l’artiste, qu’elle éclot « comme une fleur » dans l’omniprésence de toutes les autres fleurs qui inondent les drapés sertissant ces femmes. Elle devient ainsi non seulement une évocation de LA femme, mais aussi une représentation allégorique de l’unité à l’infini et, dans notre synesthésie, de la note à la symphonie. Elle est comme un écho musical (la « Musique des sphères » chère à l’astrophysicien Képler) du fini de l’Etre face à l’infini de l’Univers. Cette œuvre, par-delà la personnalisation du corps (animal ou humain, mais toujours confronté au « corps » de la peinture…) montre que le réalisme des êtres et des personnalités n’est qu’apparence (les barres « codées » des visages...) et que la femme (puisqu’il s’agit essentiellement d’elle) est bien une métaphore de la Création, donc de la Vie. Mais ici, cette création n’est pas une illusion recherchée de la Réalité ; elle est la monstration des moyens de sa réalisation et le questionnement des finalités de cette Création. Une création qui joue, comme le dit l’artiste, sur « une interférence entre le réel et l’indicible ».
Ainsi, par-delà le chatoiement des couleurs et des formes qui ponctuent chacun de ses tableaux, l’œuvre de Patrick Guicheteau est une nouvelle et superbe interrogation du rapport toujours irrésolu entre ce qu’est l’Art et ce qu’est la Vie…
(*) Critique d’art, membre de l’A.I.C.A., Paris, Octobre 2008
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